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Économie et finances, fiscalité



Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 97/67/CE en ce qui concerne l'achèvement du marché intérieur des services postaux de la Communauté
E3285 - COM (2006) 594 final du 18/10/2006

Texte déposé au Sénat le 25/10/2006


Subsidiarité

Achèvement du marché intérieur des services postaux
(Texte E 3285)

Examen au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité
par M. Pierre Fauchon

En février dernier, la COSAC a décidé d'organiser une première expérimentation dans la perspective de la mise en place d'un contrôle de la subsidiarité par les parlements nationaux. Dans ce cadre, deux textes ont été retenus :

- le premier est la proposition de règlement sur la compétence et les règles relatives à la loi applicable en matière matrimoniale, qu'a analysée notre collègue Monique Papon le 19 septembre dernier ;

- le second est la nouvelle directive postale qu'a présentée la Commission le 18 octobre dernier.

C'est sur ce second texte que porte ma communication. Elle n'a pas vocation à traiter du fond. Elle se bornera à un examen de la proposition au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, conformément à l'expérience menée par la COSAC. À cet égard, je vous indique que la commission des affaires économiques, dont les travaux passés sur les services postaux font autorité, devrait se saisir de ce texte, cette fois sur le fond, dans les prochaines semaines, comme elle l'avait fait par le passé à l'occasion de la deuxième directive postale. Pour notre part, nous devons respecter le délai limite fixé par la COSAC, c'est-à-dire le 11 décembre prochain, pour répondre sur le seul plan de la subsidiarité.

1. L'objet du texte

Je vous rappellerai brièvement l'objet du texte, avant de l'analyser au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité.

L'Union européenne s'est engagée, depuis 1989, dans une politique de libéralisation et d'harmonisation des services postaux. Cette démarche a été marquée par deux directives (celle de 1997 et celle de 2002), la proposition de directive de la Commission devant constituer la troisième et dernière étape de l'ouverture des services postaux.

Les deux premières directives ont établi un cadre réglementaire visant à concilier l'ouverture progressive à la concurrence et la prise en compte de la mission d'intérêt général fournie par les opérateurs postaux. Pour cela, la réglementation européenne a agi dans une double direction :

- d'une part, elle garantit aux citoyens européens un « service universel » comprenant au moins une distribution et une levée de courrier par jour, cinq jours par semaine, en tout point du territoire de l'Union ;

- d'autre part, elle limite progressivement la portée du monopole des opérateurs nationaux. Ainsi, le champ du « secteur réservé », qui concernait les envois de moins de 350 grammes en 1997, n'a plus concerné que ceux de moins de 100 grammes après 2002, puis ceux de moins de 50 grammes depuis le premier janvier 2006.

La directive, telle que modifiée en 2002, retient l'échéance de 2009 pour une ouverture totale à la concurrence. Mais elle prévoit une « clause de rendez-vous », la Commission devant confirmer avant fin 2006 cette échéance et en préciser les modalités sur la base d'une étude prospective.

C'est là l'objet de la présente proposition de directive qui s'accompagne d'une étude d'impact, d'un rapport sur l'application de la directive précédente et d'une étude prospective. La proposition, qui ne comprend en définitive qu'un nombre relativement limité de modifications à la directive actuelle, s'articule principalement, au-delà de certaines mesures techniques, autour de trois points principaux.

Premièrement, elle supprime le « secteur réservé » et consacre l'ouverture du marché postal à la concurrence pour 2009, y compris pour les plis de moins de 50 grammes. On notera que plusieurs États, d'Europe du Nord principalement, ont d'ores et déjà libéralisé leur secteur postal ou sont sur le point de le faire : c'est le cas de l'Allemagne, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suède ou du Danemark.

Deuxièmement, elle maintient les obligations qui incombent aux États membres d'assurer un service universel - dont le contenu n'est pas modifié - et permet aux États membres de maintenir des tarifs uniques pour les particuliers ou des raisons d'intérêt général (envoi de presse par exemple).

Troisièmement, elle détermine les possibilités offertes aux États membres pour assurer le financement des prestations de service universel dans ce nouveau contexte.

Jusqu'à présent, c'est en effet l'existence d'un « secteur réservé » qui permet bien souvent le financement du service universel par l'opérateur public. Demain, selon la Commission, les États membres auront à choisir entre différentes options qu'il serait d'ailleurs possible de combiner : aides d'État, passation de marchés publics, fonds de compensation, partage des coûts entre opérateurs. Cette liste n'est pas limitative, la proposition de directive se limitant à interdire le financement par le secteur réservé et à proscrire toute solution pouvant constituer une « distorsion disproportionnée du fonctionnement du marché ».

Ainsi, au gré des différentes options, il serait possible de maintenir un régime d'autorisation, au travers de marchés publics, en liant l'octroi de l'autorisation à une obligation de participation à un fonds de compensation ou au respect des obligations de service universel. De son côté, le fonds de compensation, destiné à financer le coût net du service universel, pourrait être alimenté par des contributions budgétaires, des taxes sur l'usager ou des contributions des différents opérateurs. A ce propos, je vous rappelle que, en France, la loi postale du 20 mai 2005 a d'ores et déjà prévu le principe d'un tel fonds de compensation, destiné à assurer le financement du service universel dans l'hypothèse où la disparition du monopole ne le permettrait plus. Pour sa part, le partage des coûts relèverait d'un mécanisme dit de « pay or play », exigeant de tous les opérateurs soit l'exercice du service universel (« play »), soit l'acquittement d'une contribution (« pay »).

2. L'appréciation au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité

· Pour ce qui concerne la subsidiarité, il faut relever que la Commission ne fait guère d'effort pour justifier sa proposition au regard de ce principe. Que ce soit dans l'exposé des motifs de la directive, ou dans ses considérants, elle se contente de formules « passe-partout ». Sans doute considère-t-elle qu'en l'occurrence, la légitimité d'une intervention communautaire est évidente. Nous en sommes en effet à la troisième directive postale, et il s'agit de gérer le marché intérieur unique dans un domaine comportant une dimension transfrontalière.

C'est dans un document de travail qui nous a été transmis par ailleurs par la Commission qu'on trouve un réel examen du problème de la subsidiarité. Dans ce document, intitulé « résumé de l'analyse d'impact », la Commission se pose la bonne question : un nouveau texte est-il nécessaire ? Que se passerait-il en l'absence d'une nouvelle directive ? Or, en l'occurrence, un nouveau texte paraît indispensable. En effet, la directive postale actuelle contient une clause de caducité : sa validité expire au 31 décembre 2008. En l'absence d'un nouveau texte, les services postaux rentreraient dans le droit commun de la libre prestation de services ; par exception, chaque État membre pourrait fixer les conditions d'un service universel sur son territoire, sous le contrôle de la Commission européenne. On se retrouverait ainsi dans une situation de grande insécurité juridique, et finalement c'est la Cour de justice qui serait amenée à trancher. Le résultat serait donc un cadre juridique moins stable, moins homogène, et vraisemblablement moins protecteur pour les services postaux.

J'ajouterai que, lors de la discussion de la directive « services », nous avons plaidé pour que des directives sectorielles s'appliquent dans les domaines présentant des caractères spécifiques, ce qui est manifestement le cas des services postaux avec la problématique du service universel.

Donc, du strict point de vue de la subsidiarité, la proposition de directive ne me paraît pas critiquable.

· J'en viens à la proportionnalité. Le point peut paraître plus délicat. À première vue, la directive respecte parfaitement ce principe : elle ne contraint pas les États membres plus que nécessaire, puisque - comme je l'ai indiqué tout à l'heure - elle leur laisse un large choix quant à la manière de financer le service universel.

Nos collègues de l'Assemblée nationale ont cependant estimé que la liberté laissée aux États membres n'était pas suffisante. Selon eux, en supprimant la possibilité de financer le service universel grâce à l'existence d'un secteur réservé, la proposition de directive excède ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs.

L'argumentation de nos collègues ne me paraît guère convaincante. On peut naturellement sur le fond être favorable au maintien d'un secteur réservé. Mais vouloir justifier ce maintien en invoquant le principe de proportionnalité me paraît quelque peu tiré par les cheveux. J'observe d'ailleurs que nos collègues évitent d'être trop catégoriques en formulant leurs conclusions.

Comment se pose en réalité le problème ? Nous devons considérer que la proposition de directive poursuit deux objectifs :

- d'une part, parachever la réalisation du marché intérieur des services postaux ;

- d'autre part, garantir le service universel à un prix abordable.

Les mesures proposées doivent être proportionnées à ces deux objectifs. Elles doivent assurer un équilibre.

Si nous maintenons la possibilité d'avoir un secteur réservé - c'est-à-dire en clair un monopole sur une partie des services postaux -, nous améliorons certes la palette des solutions pour financer le service universel ; mais nous ne réalisons plus vraiment un marché unique des services postaux : dans certains pays, un monopole subsistera pour certains services postaux, tandis que, dans d'autres pays, tout sera ouvert.

Donc, il me semble que, si nous tenons compte à la fois des deux grands objectifs de la directive, la solution retenue apparaît proportionnée à ces deux objectifs.

Si on regarde de plus près l'argumentation de nos collègues, on voit d'ailleurs que leur souci principal porte sur la crédibilité des différents modes de financement du service universel qui sont autorisés par le texte. Ils craignent que ces nouveaux modes de financement ne soient pas aussi sûrs que l'existence d'un secteur réservé. C'est une interrogation légitime, mais nous entrons alors, me semble-t-il, dans la discussion du fond même du texte : nous sommes dans des questions de faisabilité et d'opportunité. Nous ne sommes plus dans la problématique de la subsidiarité et de la proportionnalité, qui seule doit nous occuper aujourd'hui.

La commission des Affaires économiques examinera le moment venu le fond du texte. Rien ne nous empêchera à ce moment-là d'examiner de plus près la question du financement du service universel, pour nous assurer que les différentes solutions proposées sont une réponse suffisante. Si ce n'est pas le cas, il faudra demander que la proposition de directive soit revue sur le fond.

Mais, pour s'en tenir à la seule question à laquelle nous devons répondre aujourd'hui, ma conclusion sera que le texte ne porte pas atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Je ne peux m'associer à cette conclusion. Le principe de proportionnalité suppose que les moyens soient adaptés à la fin poursuivie. Or, pour financer le service universel, il n'y a pas aujourd'hui d'autre formule crédible que le maintien du secteur réservé. Les solutions alternatives proposées ne sont pas suffisantes, les expériences étrangères le montrent. Sans confondre le fond et la proportionnalité, nous devons dire qu'il ne sert à rien de permettre aux États membres de maintenir un service universel si, parallèlement, on leur interdit de maintenir le secteur réservé, qui est le moyen le plus sûr de le financer. Nous devons donc demander que l'on puisse maintenir le secteur réservé aussi longtemps qu'une solution de rechange crédible pour le financement du service universel ne sera pas apportée.

M. Robert Bret :

J'ai du mal, dans cette affaire, à séparer le fond de la subsidiarité et de la proportionnalité. La poste est le service public par excellence, qui concerne peu ou prou toute la population. L'affaiblir, c'est fragiliser la partie la moins favorisée de la population, et donc accroître les inégalités. Dans les quartiers populaires, le service public n'est déjà plus assuré comme il devrait l'être. Par exemple, dans le 13ème secteur de Marseille, faute de moyens, 1 000 habitants sur 70 000 ne sont plus desservis, chaque jour, à tour de rôle. Ce manque de moyens s'accompagne d'une précarisation, avec des emplois moins stables. Les postiers connaissent moins bien la population. Cette directive fait passer la rentabilité avant les personnes, avant l'humain.

Je n'accepte pas qu'on dise que, après deux directives, on ne peut pas s'arrêter, qu'il faut terminer la libéralisation. Il n'est pas trop tard. Rien n'oblige à aller plus loin. Soyons clairs : dans une optique de concurrence généralisée, les États ne pourront agir efficacement pour maintenir le service universel. Il faut savoir que, à chaque recul des services publics, il y a des drames. Le tissu social est atteint, et ce sont les élus qui doivent faire face aux conséquences.

M. Christian Cointat :

L'évolution des technologies est telle que si la poste n'évolue pas, elle est condamnée. Les échanges se font de plus en plus par e-mail, par SMS, par messagerie. Le service public, qui est nécessaire, ne doit pas être un argument pour refuser de s'adapter. Aujourd'hui, nous n'avons pas un service satisfaisant pour les envois transfrontaliers, qu'il s'agisse de lettres ou d'abonnements. La seule exigence d'équité justifierait une intervention européenne. Il faut une Europe postale, et j'estime à cet égard que la directive devrait même aller plus loin. Dans cet esprit, j'accepte la conclusion proposée par Pierre Fauchon : l'intervention de la Communauté est parfaitement légitime.

M. Yann Gaillard :

Je souscris au constat d'une certaine dégradation du service postal. Les colis ne sont plus apportés au domicile : on reçoit un papier, il faut se déplacer à la poste pour retirer le colis.

M. Bernard Frimat :

Il est difficile de séparer les différentes questions. Le problème essentiel est de préserver, voire de rétablir un service universel de qualité. Est-ce que les modalités proposées le permettent ? Je suis d'accord pour considérer qu'une intervention européenne est justifiée, et qu'il n'y a donc pas de problème de subsidiarité. Mais, pour ce qui est de la proportionnalité, je vois mal comment l'apprécier, en l'espèce, sans considérer attentivement le fond du texte, c'est-à-dire la valeur des modalités de financement qui restent autorisées.

Cette directive me paraît inspirée par l'idéologie du « tout libéral » : le service universel demeure, mais plutôt comme un voeu pieux, car en réalité, les opérateurs viendront capter les îlots de profit, et le reste sera dédaigné. Il faudrait au contraire une cohérence d'ensemble autour d'un service universel de qualité.

En l'état, nous n'avons pas les précisions et les garanties indispensables, et les interrogations de nos collègues députés me paraissent le minimum à exiger. La Commission me paraît avoir aujourd'hui une attitude de plus en plus arrogante : le monde doit se plier à sa vision, sinon le monde a tort. Au lieu de s'en tenir au dogme libéral, qui finira par détourner les gens de la construction européenne, la Commission devrait justifier son action dans chaque cas, prouver qu'elle va être utile au citoyen. Nous devons donc lui demander de prouver que le principe de proportionnalité est effectivement respecté par les solutions qu'elle avance.

M. Jacques Blanc :

Je constate qu'il y a une étude d'impact sur les bienfaits de la libéralisation, mais pas sur l'efficacité des modes de financement alternatifs du service universel. En tout état de cause, il faut que l'Europe se donne des délais supplémentaires, au lieu d'imposer ce changement dans la précipitation.

M. Pierre Fauchon :

Ce débat est intéressant, mais à mon avis nous parlons du fond, et non pas de la subsidiarité et de la proportionnalité proprement dites. Peut-on parachever la libéralisation sans porter atteinte au service universel ? C'est un vrai problème, mais ce n'est pas celui que nous avons à traiter aujourd'hui. La commission des Affaires économiques l'abordera le moment venu. Sur le fond, je ne suis pas en désaccord avec qui a été dit, mais je crois que nous perdrons notre crédibilité dans notre mission de vigilance sur la subsidiarité et la proportionnalité, si nous nous laissons guider par des considérations de fond.

M. Hubert Haenel :

Compte tenu de nos débats, je crois pouvoir proposer que nous adoptions les observations suivantes, qui me paraissent constituer le point d'équilibre :


Observations

La délégation pour l'Union européenne estime que la proposition de directive sur l'achèvement du marché intérieur des services postaux respecte le principe de subsidiarité, mais qu'elle ne satisfera au principe de proportionnalité que dans la mesure où elle permettra de manière effective de garantir un financement approprié du service universel.

La délégation invite en conséquence la Commission à apporter la démonstration qu'un tel financement pourra être assuré dans le cadre des formules autorisées par la proposition de directive.

M. Pierre Fauchon :

Je ne peux m'associer à ces observations, qui me paraissent reposer sur une interprétation erronée du principe de proportionnalité. La question de l'opportunité de la directive est une autre question que le respect de la subsidiarité et de la proportionnalité.

*

À l'issue du débat, la délégation a adopté les observations proposées par M. Hubert Haenel.



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